Louise

Quand l’été de 1954 s’approcha, Louise demanda deux semaines de vacances pour le mois d’août. Parfois Louise regrettait de travailler dans ce petit cabinet médical, car ils n’aiment pas se priver de leurs employés l’été. Après une longue discussion, la secrétaire céda et lui agréa 10 jours de vacances. Avoir réussi de s’imposer rendait Louise le plus heureux qu’elle ne l’a été depuis longtemps. Elle languissait la mer, elle avait marre des forêts lorraines.

En rentrant chez elle, elle s’imagina déjà ce voyage longuement prévu entre amis. Il ferait chaud, il ferait beau. Elle sentit presque déjà les rayons de soleil lui chatouiller le nez et une brise circuler autour de ses épaules. Elle inspira, sentit l’eau circulant autour de ses cuisses et l’odeur des pins, transpirants dans la chaleur estivale.

Elle monta l’escalier de son bâtiment, jusqu’en haut au quatrième étage, elle ouvra la porte de son appartement et se précipita vers le téléphone pour composer le numéro de téléphone de Stéphane. Entendant sa voix à travers le combiné, son cœur palpitait.

– « C’est fait, maintenant plus rien s’oppose à Marseille ! »

– « Comment cela ? Ils t’ont accordé des jours de congé ? »

– « Ah oui ! As-tu des nouvelles de Lucie et Robert ? »

– « Figure-toi que j’ai rencontré Lucie ce matin dans le bus ! On se parlé un tout petit peu. De l’office de tourisme ils ont reçu une liste des campings proche de la plage, dont un qui s’appelle « La Madrague ». C’est pas trop loin de Marseille. »

Louise sourit. Que des bonnes nouvelles l’attendaient aujourd’hui. Elle pausa pour un instant.

– « Est-ce qu’entre-temps tu leur as avisés de nous ? Vous en avez parlé dans les lettres ? »

– « Bah oui, alors, pas dans ce sens-là, elle était un peu pressée aujourd’hui et tu sais – je n’y ai pas pensé … »

C’est vrai que Robert, Lucie, Louise et Stéphane planifiaient ce voyage depuis qu’ils avaient fini l’école ensemble, il y a 7 ans, mais toujours quelque chose semblait s’opposer à leurs plans. Après que Lucie était partie à l’étranger pour ses études, ils se sont perdus de vue et après ils ne correspondaient plus que par lettres pour planifier ce voyage. Rarement leur vie privée ait trouvé de la place dans ces lettres. Ils voulaient attendre pour se revoir, pour se parler, pour faire revivre le passé, à la plage, au coucher de soleil.

Les mois passèrent et le jour du départ s’approcha. La voiture de Stéphane fut chargée la veille et Louise étudia la carte routière pour la vingtième fois. Il fallait prendre l’A31… puis l’A6… et ensuite l’A313. Elle soupira et rangea la carte dans sa veste. Elle regarda Stéphane, qui lui sourit. Elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire aussi. Le voyage avec Stéphane. Avec Lucie et Robert. À Marseille. Stéphane ouvra une bouteille de vin. Pour mieux pouvoir dormir.

Le lendemain c’était Stéphane qui conduisait, car il n’avait pas confiance en Louise comme conductrice. Elle s’occupait de la navigation. Une fois que Robert et Lucie fuirent installés dans le siège de l’arrière, Louise ne s’arrêtait plus de parler. L’atmosphère était agréable, on s’entendait bien, même après sept ans de séparation. Louise voulait tout savoir, chaque détail du séjour de Lucie aux États-Unis. Dans sa tête se formèrent peu à peu des images d’immense bâtiment, de gratte-ciels. Elle ne pouvait même pas s’imaginer une telle hauteur sans avoir le vertige. Des images de gens dans les grands parcs, sur les larges boulevards et se précipitant la nuit pour aller dans le prochain bar se construisaient dans son esprit. Ce ne fut pas longtemps jusqu’à ce qu’elle commençât à s’imaginer elle-même à la place de Lucie, parcourant la vaste ville de New York. Le temps passait vite et ils atteindraient leur destination avant midi.

Après qu’ils eurent monté la tente, ils décidèrent d’aller à la plage. Robert prit les lunettes de soleil de Lucie et les mit ensemble avec son appareil photo dans le sac. On sentait l’excitation pour la mer dans chacun des quatre.

À peine installés sous un parasol à la plage, Louise courut vers la mer. Ses pieds faisaient l’eau gicler, ses jambes brisèrent les vagues, tout son corps disparaissait dans le grand bleu. Elle se sentit vivante.

Robert la joint pendant que Louise cherchait des coquillages et Stéphane profitait du soleil.

Ainsi, ils passèrent l’après-midi ensemble, en se baignant dans la mer et dans le soleil. Ils parlaient du temps passé, à plat ventre sur les serviettes. Ils se racontèrent des histoires des anciens camarades, ils rigolaient, s’amusaient. Lucie et Robert ne furent pas surpris d’entendre que Louise et Stéphane étaient ensemble depuis quelque temps. Ils se montraient très solidaires et prétendirent même de le déjà avoir douté au lycée.

Ça leur faisait du bien de se revoir et pour immortaliser leur rencontre, Lucie proposa de prendre des photos. Louise accepta volontairement et en prit de Lucie débout, la mer en arrière-plan. Il fallait faire attention avec le sable pour qu’il ne raie pas la lentille. Lucie se mit ensuite à côté de Stéphane et Lucie appuya sur le déclencheur. Sur la photo, on ne voit ni le beau ciel bleu, ni les couleurs du parasol et du maillot de bain rayonné de Louise, ni le joli jaune du sable ou la peau olive de Stéphane. Mais l’absence de couleurs fut remplacée par une gaité sensible à travers la photographie.

Le jour commença d’atteindre sa fin, quand ils planifièrent leur excursion à Marseille le lendemain.

Stéphane s’étira lentement et bâilla.

– « Ah, c’est déjà l’heure de dodo pour toi, Stéph ? », rigola Robert.

Stéphane sourit. Il était effectivement un peu fatigué, le voyage était long, la nourriture était bonne et il était content.

– « On pourrait retourner au camping, en fait, j’ai froid aussi », dit Lucie.

– « Moi je veux rester pour le coucher du soleil. Il est presque l’heure », dit Louise.

Elle les fit regarder par la fenêtre : Le soleil s’abaissa lentement, le ciel devenait légèrement rose. Malgré sa fatigue, Stéphane restait avec Louise et ils dirent au revoir à leurs copains. Les deux s’installèrent à la plage qui maintenant était beaucoup plus vide qu’à leur arrivée.

Stéphane contemplait Louise ; elle brillait dans le soleil couchant, elle rayonnait de chaleur, de positivité. Il l’admirait, l’adorait. Ses cheveux bruns prenaient une couleur de caramel, on aurait dit sa peau couverte d’une couche d’or.

Il voulait bien la marier.

Ils parlèrent de la journée, des voyages passés, des voyages qu’ils aimeraient encore faire ensemble. Du passé, de l’avenir. Des moments drôles, des plans fous.

Elle rit, elle rit comme elle le faisait toujours. Son sourire en coin, qu’il reconnaitrait parmi des milliers. Depuis leur première rencontre, il l’admirait pour son esprit serein, son caractère positif et optimiste. Il s’imagina ses enfants ayant le même sourire qu’elle.

– « Tu veux avoir combien d’enfants ? »

– « Moi ? Aucun ! »

Elle s’arrêta de sourire. Son regard devenait plus sérieux, elle le regarda dans les yeux bruns.

– « Tu es la première femme que je rencontre qui ne veut pas d’enfants. N’as-tu jamais imaginé ton avenir avec des enfants ? »

– « Si, mais je n’y vois pas le sens. Ça t’apporte quel avantage d’avoir des gamins qui ne te font que des soucis, qui te coutent du temps et de l’argent ? » Elle baissa les yeux et ferma un bouton de son blouson. « Et d’ailleurs tu connais la relation que j’avais avec mon père. »

– « Oui et je comprends… Moi aussi j’ai parfois de doutes, mais j’aimerais bien devenir père un jour. »

Elle commençait à fouiller dans le sable, en prenant une main pleine et laissant glisser le sable entre ses mains. Elle le répétait quelques fois.

– « Moi je ne veux pas m’attacher, ni quelque part, ni à quelqu’un. Tu sais, avec des enfants, il faut toujours respecter les vacances scolaires et des trucs comme ça. En gros, tu te limites, tu te prives de ta liberté. Et les enfants, ce n’est pas une décision pour quelques années, c’est une décision pour la vie. »

Le soleil atteignait le moment où le ciel devenait ce curieux mélange de couleurs du rose, du vert, du bleu et du jaune.

– « C’est peut-être un peu naïf, un peu égoïste… Mais je pense que les enfants apportent aussi beaucoup pour le développement personnel. Je ne veux pas m’imaginer ma vie adulte sans enfants, sans parents quelconques, tout seul dans une maison de retraite sans aucun qui s’occuperait de moi. Sans rien laisser derrière moi quand je meure. »

– « Et tu penses que le seul moyen de le faire, c’est par la reproduction ? »

Le soleil descendait lentement, s’approchant à l’horizon. Le ciel devenait de plus en plus rouge.

– « C’est en tout cas le moyen le plus facile. »

Louise détourna les yeux de Stéphane. Elle observa le jour mourant.

Stéphane remarqua que le corps de Louise devenait tendu, raide. Il s’approcha de Louise, l’enveloppa dans sa veste pour lui donner un peu de sa chaleur. Elle se laissa tomber dans ses bras, resta immobile comme une poupée. Son souffle frissonna la chevelure douce de Louise.

Ce qu’elle disait après un instant de silence était presque inaudible.

– « Je veux rester libre. »

Il la serra encore plus fort, l’embrassant la tête.

– « Tu crains la mort ? »

– « Non, et toi ? ». Louise ne le regardait pas. Elle observait le soleil, le soleil qui presque n’était plus. Le soleil, qui se baignait maintenant dans un ciel d’une couleur sanguine.

– « Moi je la crains. Je la crains énormément. J’ai peur de tomber dans l’oubli. »

– « Franchement, je m’en fous. Ça m’est égal de ce que pensent les gens après ma mort. Ils peuvent s’imaginer ce qu’ils veulent de ma vie. Et à vrai dire, cela me dérange peu, car je ne peux ni l’éviter, ni le contrôler. À quoi bon de s’en soucier ? »

En quelques instants le soleil ne devait plus être.

– « Tu n’as pas tort. »

Ils restèrent silencieux.

– « Que deviendra-t-on ? »

Finalement, elle le regarda. Ce qu’elle voyait était le visage de son amant, déformé dans la pénombre. Les yeux noirs sans lumière, ni ombre, se mélangeant avec la nuit qui les entourait de plus en plus.

Elle expira, son visage sans expression, sans émotion. À l’instant, elle chuchota.

– « Aucune idée. »

Ses yeux lui firent presque peur, elle ne pouvait rien y déduire, ni émotion, ni pensée. Il l’embrassa tendrement, ses lèvres à elle, froides comme de la glace.

Le soleil disparaissait à l’horizon. Sans s’en rendre compte, ils retinrent tous les deux leur souffle. Pour une seconde, pour deux.

Elle se lança dans les bras de Stéphane, se cacha dans ses bras. Il la protégea, la tenait contre sa poitrine chaude. À elle, la mort ne faisait pas peur ; le monde d’après sa mort ne la regardait pas.

Teil des atelier d’écritures zum Thema Fotografie.

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